LES CRAMÉS DE LA BOBINE

Journal des débats

jeudi 1er octobre 2009 par Claude

"Fausta", film péruvien de Claudia Llosa, nièce de Vargas Llosa, nous est apparu comme un film lent, avec ses gros plans ou ses longs plans-séquences sur le visage mutique, le corps noué de Fausta ou la maison bourgeoise où la jeune femme travaille comme bonne pour payer l’enterrement de sa mère. Cette lenteur, qui a pu paraître pesante à certains spectateurs, a été à l’inverse ressentie par d’autres comme une nécessité tant sur le plan dramatique que sur le plan symbolique : elle suggère le temps, long et douloureux, d’un cheminement, celui d’une jeune femme qui enterre sa mère, pressée par son oncle d’achever son deuil, par ses cousins d’aimer et de s’adonner à la joie d’un mariage ; celui, plus profondément, d’un difficile retour à la vie, d’une renaissance après la peur primordiale, "le lait de la douleur" bu par l’enfant née d’un viol et transmis par sa mère lors de l’allaitement...

Cette renaissance, qu’accompagnent la figure du jardinier et l’image de la germination - le plan final y insiste non sans redondance - est tout le parti-pris du film, qui a choisi d’évacuer le contexte historique du Sentier lumineux et de sa lutte sanglante contre le pouvoir et l’armée dans les années 1970-1990 pour ne garder que l’essence du drame : le traumatisme et la lente remontée vers la lumière. Qui songerait au fond qu’on puisse dans la vie se remettre d’un deuil ou d’une maladie en quelques jours ou quelques semaines ? Laissons au cinéma, au temps d’un film, le temps de la maturation et de la transmutation...Henri et Danièle, qu’une première vision avait laissés un peu froids, ont beaucoup apprécié de revoir cette oeuvre.
D’autant que le film ne manque pas d’humour ni de fantaisie, trouvant dans la pomme de terre un symbolisme inattendu...Cette pomme de terre que la jeune femme, toujours obsédée par le viol de sa mère malgré le temps et sa propre virginité, s’est introduite dans le vagin pour se préserver des assauts des hommes et échapper à la vie : même dans les scènes colorées de fêtes ou de mariages, même dans ses mélodies quechuas, même dans sa robe bleue, Fausta nous échappe et se fuit indéfiniment, se réfugiant derrière des voiles quand elle ne passe pas furtivement la tête par une fenêtre ou ne disparaît pas derrière les lourdes portes ou dans la lumière blafarde de l’appartement bourgeois - barrières d’un autre monde qui aidera pourtant à sa renaissance : elle chantera pour sa patronne, lui redonnant le goût du piano, contribuant à son retour triomphal sur scène - même si celle-ci la rejette finalement avec son mépris de classe, la faisant sortir de la voiture au retour du concert parce qu’elle a osé lui adresser la parole sans y être invitée, la féliciter ("Ca leur a plu !") et lui rappeler, bien inconsciemment, ce qu’elle lui devait...
Cette pomme de terre qui germe en elle et pourrit, nécessitant qu’elle la coupe régulièrement (images étonnantes) et qu’on envisage une opération, est pourtant aussi symbole de renaissance, de germination de l’espoir et de la vie. C’est sans doute la force de ce film, qui n’évite pas toujours la métaphore et le symbolisme systématiques au détriment de l’histoire, de jouer ainsi sur ce double registre de la vie et de la mort : les scènes de liesse populaire, ces mariages collectifs où jaillissent mille "oui", la drague, même maladroite du cousin d’un côté ; de l’autre, cete obsession de la mère, cette momie maternelle cachée sous le lit, voire couvée sur le lit, contradiction qui se résoud à la fois dans la violence et la pureté : la violence de l’oncle qui vient dénouer Fausta dans son sommeil, l’appeler à la vie contre ses démons ; la beauté du paysage marin, de ces dunes sur la crête desquelles Fausta amène le corps de sa mère.
Ne serait-ce pas un film qui se tient sur la crête entre la vie et la mort ? On pense à ce plan surprenant - une belle trouvaille cinématographique - où une fosse (ou ce qui paraît tel) filmée de loin s’avère être...une piscine improvisée où s’ébattent des enfants au milieu des bouées et des canards !...

Claude Sabatier


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