LES CRAMÉS DE LA BOBINE

Journal des débats

lundi 29 novembre 2010 par Claude

"Biutiful" d’Alejandro Gonzalez Inarritu est un film baroque dont le foisonnement peut déconcerter, en donnant une impression soit de générosité, de vie débordante à la manière de "Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Marquez, soit de surcharge, de prodigalité finissant par étouffer le propos sous les effets dramatiques, le symbolisme appuyé de la mise en scène et l’accumulation des thématiques sociales et spirituelles : en effet, cette œuvre nous propose à la fois un itinéraire personnel, une épopée intérieure et l’évocation d’un Barcelone interlope, une chronique de la drogue, de la prostitution, de l’exploitation de la misère humaine, qu’il s’agisse des immigrés africains et asiatiques, main d’œuvre facile et fragile, ou des endeuillés dont le héros prétend apaiser la souffrance en captant et en interprétant auprès du cercueil les messages des chers disparus.

L’originalité du film et sa faiblesse peut-etre tiennent à cette intrication de de la chronique sociale et de l’histoire personnelle (qui aurait suffi à créer un scénario linéaire, fondé essentiellement sur Uxbal) : à vouloir tout traiter sans choisir, la marche vers la mort d’un homme atteint d’un cancer de la prostate en phase ultime et les incroyables combines dans les bas-fonds de Badalona, Santa Coloma et du quartier de Raval, le cinéaste fascine et sature le spectateur. Le propos peut paraitre brouillé : veut-on créer une empathie avec cet homme en bout de course, père divorcé qui vit d’expédients et s’occupe tant bien que mal de ses enfants face à une mère irresponsable, qui sort en laissant ses enfants quand elle ne se prostitue pas ? L’interprétation tout en finesse, tout en lassitude sobre et détresse muette, de Javier Bardem - qui lui valut le prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 2010 - aurait suffi à lui gagner notre sympathie : il est bien difficile, toutefois, de s’identifier à sa souffrance quand le meme homme trafique à tout va, des produits de contrefaçon, s’acoquine avec son frère tenancier d’un cabaret et bordel de luxe, monnaie la parole des morts, leur faisant dire n’importe quoi pour s’enrichir sur la douleur des proches, et surtout quand son exploitation de la main d’oeuvre cause l’effroyable mort d’une trentaine de Chinois dans un entrepot servant de dortoir de fortune : les radiateurs non conformes qu’il s’est procurés ont en effet asphyxié les malheureux, dont un de ses acolytes jettera à la mer les cadavres bientôt ramenés sur le rivage par la marée. Comment ne pas etre partagé devant l’attitude d’Uxbal qui, tout à la fois, soutient et exploite ces pauvres gens ? Son chemin de croix crucifie beaucoup autour de lui.

Ce "messie de cinéma", qui, selon "Le Monde", prend sur lui "la mondialisation" et "l’au-delà", est-il libre d’agir autrement ou le jouet du destin ? Tel semble être le débat proposé, non sans emphase, par la bande-annonce : "le destin ressemble à une tempête de sable : tu changes de direction mais la tempête te suit (...) elle tranchera dans ta chair mille lames de rasoir (...) cette tempête, c’est toi ! Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu lui as survécu. Tu ne seras plus le même ! " Le film répond-il vraiment à cette donnée et à ce pari ? Rien n’est moins évident, tant Uxbal semble à la fois victime - de la maladie, d’une situation familiale que la vie, l’usure du temps ont créée - et coupable de ses combines, de ses fréquentations ou des risques inconsidérés qu’il prend avec ses appareils pour le moins dangereux ! A-t-il vraiment changé ?

Reste un film d’une grande richesse, avec la prestation remarquable de Maricel Alvarez en Marambra, l’ex-femme du héros, infantile, hystérique, bouleversante - digne de l’univers d’Almodovar - et une scène de rue impressionnante, caméra à l’épaule, un accéléré vertigineux qui nous plonge dans la course-poursuite par la police des vendeurs à la sauvette. Véritable scène de rafle, en temps réel, qui nous happe par sa violence soudaine, sans fioriture ni lourde intention de signifier. Et ce jeu d’échos, boucle et cycle subtils, entre le début et la fin, cette main fiévreuse et cette alliance au doigt dans ce qu’on croit etre une scène d’amour entre Uxbal et sa femme - et qui se révèle bien différent dans les dernières images.

Claude


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